Ep 2-9: Prédire avec Napoléon
L’intelligence collective est à la mode et je ne suis pas le plus grand fan du concept. Mais peut-on avec l’intelligence artificielle définir les conditions où l’intelligence collective peut supplanter la stupidité du groupe?
Imaginons que vous soyez l’empereur d’un pays compliqué et sujet à révolutions sanglantes, comme Napoléon. Évidemment vous avez envie de savoir ce qu’il y a dans la tête des gens. Cela s’appelle l’opinion publique. À l’époque la population ne livrait pas volontairement ses désirs secrets sur des réseaux sociaux permettant en temps réel de contrôler ce qu’elle pense comme c’est, dieux merci, le cas aujourd’hui.
Vous aviez alors deux solutions. La première, c’est d’avoir un service de police intérieure avec des experts qui mènent des enquêtes d’opinion et lisent les journaux pour produire des rapports. Cette solution est la plus répandue et la moins efficace comme l’a démontré une récente étude de la CIA. Les experts se trompent énormément (ayons une pensée émue pour les instituts de sondage). Comme on dit la prédiction est chose difficile surtout quand elle concerne l’avenir.
La seconde solution est celle de Napoléon, redécouverte récemment par la CIA et les personnes travaillant en intelligence artificielle. L’empereur va recruter quelques dizaines de personnes de tous horizons, de toute culture ou niveau d’étude, des intellos, mais aussi des artistes ou des gens du peuple. Ces gens vont être invités à écrire des lettres pour parler, de ce qu’ils veulent. De tout, de rien. De l’air du temps. D’anecdotes de café ou de bordels. D’observations sans aucune censure. Ils vont envoyer ces lettres à l’Empereur et, jamais, ils ne sauront si elles ont été lues ou prises en compte et, quelque soit les critiques qui peuvent y être formulées, ils ne seront jamais inquiétés.
En intelligence artificielle, ces correspondants épistolaires sont qualifiés de « weak learner » que l’on peut traduire par de piètres étudiants. Ils apprennent mal et leurs évaluations, leurs prédictions, sont pour la plupart mauvaises.
Il se trouve que si une personne agrège les pensées de ces piètres étudiants, sa prédiction deviendra meilleure que celle que ferait le meilleur des experts. En intelligence artificielle, on appelle cela de l’apprentissage d’ensemble.
Donc la démocratie est sauvée et même avec des citoyens nuls les élections donnent toujours le meilleur résultat possible alors que le dictateur éclairé c’est du pipeau. Bon. Calme. Les piètres étudiants comportent souvent parmi eux, comme l’a démontré l’étude de la CIA, des « superprédicteurs », en anglais superforecasters. Il s’agit de gens (ou d’algorithmes) qui font toujours de meilleures évaluations que les autres. Et l’étude nous dit que ces super prévisionnistes, quand ils sont humains, ont des caractéristiques communes: capacité à trier des informations, absence d’a priori, pensée politiquement incorrecte, capacité à mettre l’affect entre parenthèse et…curiosité. Ils ne représentent que quelques pour cent de la population et, dans un processus d’intelligence collective, ils sont indispensables. Sans eux, une séance de brainstorming avec des piètres étudiants donnera des poncifs et des banalités, enfoncera gaiement les portes ouvertes. Ce fait, qui justifie peut-être la performance de la démocratie représentative par rapport à la démocratie directe, devrait inciter les dirigeants à identifier les super prévisionnistes dans l’entreprise.
Une fois encore, l’intelligence artificielle nous apprend des choses sur nous même. Pour bien savoir, il faut être un empereur informé par des curieux. Qu’on se le dise…